Marcel (1/3)

Je m’essaie au questionnaire de Proust, comme un petit exercice d’exploration intérieure étalé sous vos yeux.

Des épices

J’aime t’embrasser quand tu rentres de chez le dentiste. Tu as goût de clou de girofle. J’aime goûter ta bouche épicée. C’est un plaisir de gourmet. Le petit bout de ta langue humide vient se frotter à la mienne, nos dents tintent parfois. Tes puissants arômes m’envahissent, me racontent des histoires de voyage et de cuisine.

Incarnet

Mon corps est un bullet-journal
Mon corps est un cahier de coloriage
Mon corps est un agenda

À marée

Ici, c’est le réveillon et j’ai trouvé une huître perlière. J’admire sa voilette, sa robe de velours. Je la nettoie du bout de la bouche, puis moins timide je m’aventure sans retenue.
J’en ai le goût plein la langue. Le sel, l’horizon, l’infini des profondeurs. Je bois la tasse à me noyer tandis que sa peau couleur d’écume ondule autour de moi en tempête. Sa respiration, c’est le ressac, le bruit des vagues qui se fracassent sur les rochers. Je ferme les yeux et je l’attends, inéluctable, irrégulière pour autant. Ça souffle, ça grogne, c’est immense et plein de vie.

Couronne

Dans l’obscurité je brille et je vole. Il n’y a presque plus de bruit, ici. Seuls les craquements d’en dessous résonnent parfois, étouffés. Nous sommes dans l’autre monde. Celui que tu ignorais quand tu as entrepris ton voyage.
Dans l’obscurité je danse et je flotte. Tu sens la dentelle de ma robe, mes bras filins filets qui te happent et t’endorme. Je suis une berceuse et tu es mon bel assoupi.
Dans l’obscurité je festoie de toi. J’ai ma plus belle robe, la transparente qui brille. Elle a l’éclat de ma peau et un joli contraste avec les fumerolles qui montent en colonnes autour de nous. Elle te plaît ma salle de bal ? Ça a l’air de faire beaucoup pour toi tout ça, tu es tout recroquevillé.

Diablex

D’elle je me souviens la crinière flamboyante. Autant de boucles comme des flammèches qui volaient au-dessus d’un visage à la fois calme et intense. Je me souviens du trouble quand elle s’est avancée vers moi, toute en splendeur. Je me sentais tout petit, presque fragile. Je me sentais à sa merci.
Alors qu’elle plongeait son regard en moi, je sentais mes joues s’enflammer. Malgré ses vêtements je la devinais nue. Le grain de sa peau faisait des risées dans ma rétine. J’avais la gorge sèche et le cœur battant. D’une main, elle me fit tomber à la renverse. Mes jambes ne me portaient de toute façon plus qu’à grande peine.

Obscurité

Dans la longue nuit un éclair flamboyant
une flammèche au milieu des ombres
qui se faufile
qui glisse
sans un bruit.
Autour le monde s’est fait silence, on croirait le fond de l’océan.

Fumée

C’était le temps d’avant les hommes, quand les animaux étaient encore doués de parole. Le soleil brillait sur la grande plaine et la lune avait à peine commencé à danser dans la nuit.
Un jour, alors que l’été avait été particulièrement chaud, le lit du fleuve se trouva si asséché que même les poissons n’y passaient plus. Le martin-pêcheur, éclat de couleurs et roi des plongeurs, s’en trouva bien embêté. Sa famille réclamait du poisson frais, mais dans le lit boueux de ce qui était auparavant son terrain de chasse, il n’y avait désormais plus aucun de ses trésors argentés.
Résolu à trouver pour les siens de quoi se nourrir, l’alcyon prit son envol vers la côte. Il n’y connaissais rien à l’océan, ce n’était pas son élément, mais un échassier migrateur de passage lui avait confié qu’on y trouvait des réserves de poissons apparemment sans fin.

Intime-moi

Ça a glissé dans la conversation, presque comme une pensée à voix haute.
« J’aimerais que tu m’intimes.
Tu aimerais que quoi ?
Que tu m’intimes ?
Mais que je t’intime quoi ? Un ordre ?
Non, plutôt le cou, là. Oui, je crois que j’ai envie que tu m’intimes le cou.

Le tabard d’Orion

Il me semble que je ne me rappelle plus son nom. Je ne suis même pas certain de l’avoir connu un jour, à vrai dire.
Je l’avais rencontré sur une terrasse où j’étais sorti fumer. Je ne crois pas que c’était un des invités, en tout cas je n’avais pas souvenir de l’avoir vu dans la soirée, mais j’étais trop éméché pour poser à cette heure-là d’autres questions que « Vous avez du feu ? »
Il en avait, et la braise de ma cigarette rejoignit les lumières du firmament.
« Moi je m’appelle Manuel, enchanté. » Il était beau et j’étais ivre. « Je suis un ami de François. Et vous ? »