Melville, la nuit

À marée

Ici, c’est le réveillon et j’ai trouvé une huître perlière. J’admire sa voilette, sa robe de velours. Je la nettoie du bout de la bouche, puis moins timide je m’aventure sans retenue.
J’en ai le goût plein la langue. Le sel, l’horizon, l’infini des profondeurs. Je bois la tasse à me noyer tandis que sa peau couleur d’écume ondule autour de moi en tempête. Sa respiration, c’est le ressac, le bruit des vagues qui se fracassent sur les rochers. Je ferme les yeux et je l’attends, inéluctable, irrégulière pour autant. Ça souffle, ça grogne, c’est immense et plein de vie.

J’ai des algues plein le visage. Des griffes de crabes qui m’enserrent le crâne et m’attirent vers une grotte sous-marine emplie – dit-on – des trésors de tous les navires pirates échoués. J’ai la langue qui joue au tourbillon sur le rift.
Mes doigts sont des bernard-l’hermite, ils trouvent leur carapace à venir, se glissent dans le coquillage, s’installent, découvrent les parois, les lisseurs, les rugosités. Ils se promènent et c’est la tempête qui se déchaîne. C’est le cri à l’unisson d’un banc entier d’échassiers qui s’élèvent. Je suis pris dans la houle. Ma tête est projetée contre une paroi, j’ouvre la bouche pour répondre au SOS, mais déjà l’anémone me bâillonne. Je tente le morse à même la bouche. Chaque mot trait long trait court semble provoquer un nouveau glissement de plaque tectonique.

C’est le sol lui-même qui tremble alors que la murène mugit. C’est la complainte des fonds marins qui s’élèvent. J’ai des embruns plein le visage, l’océan qui me déferle dessus.

Le lit est une coquille de noix aux voiles trempées par le tsunami. Je suis échoué. Mon aimée est mon île exquise ; je me glisse dans ses bras d’atoll alors que les derniers rugissements du volcan qui l’a traversé résonnent encore autour de nous. Bientôt c’est le silence. Il ne reste que les vagues de nos âmes qui viennent bercer les corps enlacés.