Melville, la nuit

Peaux-rouges

Tu sais quoi ? Je crois que c’est l’odeur du sang qui m’a marquée en première. J’avais l’impression d’être un requin, je te devinais à distance. Je me suis glissée dans le couloir qui menait jusqu’à ta chambre, furtive. La porte était entrouverte, un rayon de lumière orangée barrait le couloir. Je me serais crue dans un canyon, à l’affût des guets-apens, éclaireuse de pacotille au milieu de la nuit.
Tu avais mis de la musique, je crois. Un morceau plein de fourmillements, comme un orchestre d’insectes. Les notes venaient rebondir sur mes poils hérissés par l’excitation. Tu m’attendais, je le savais.
Quand je me suis glissé dans ton alcôve, tu étais presque nue. Juste une culotte, du genre confortable. Un petit pagne de coton violet. Tu me tournais le dos, tu regardais par ta fenêtre. J’ai mis quelques secondes à réaliser que tu ne regardais pas le paysage, en tout cas pas celui que j’imaginais. Tu regardais le reflet. J’ai fini par y saisir ton regard planté dans le mien. Tu as souri. J’ai frissonné. Moi qui me prenais pour la chasseuse, j’ai réalisé que j’étais la proie. Finalement, j’y étais bien tombée, dans ton guet-apens. Sans te tourner, tu m’as fait signe de m’approcher. J’ai fait un pas, ma veste est tombée au sol. Un deuxième et c’était mon sweat-shirt. Encore un pas et j’étais comme toi, torse nu. Au quatrième, il ne me restait que mes chaussettes et mon boxer. Avec le dernier pas, ma peau rejoignit la tienne. Tu as posé tes mains sur les miennes, toutes fébriles, et tu les as emmenées jusqu’à ta poitrine. Nous n’avions pas encore prononcé un mot. Les insectes musiciens emplissaient l’atmosphère, mais pas suffisamment pour couvrir les battements de nos coeurs.

“J’ai mes règles.
– Je sais.
– Ça ne te dérange pas ?
– Non, pourquoi ?
– …
– …
– Ça va être un peu sauvage.
– Je peux être un peu sauvage avec toi.
– Oui. Je crois que j’ai envie de ça.”

Je t’ai demandé si tu voulais que je te déshabille et tu as acquiescé. Quelques secondes plus tard, ta culotte et mon boxer jonchaient la moquette, et nous étions allongées sur ton lit couvert de serviettes. Je te couvrais de baisers et tu enserrais ma taille entre tes jambes. Je dessinais des pistes sur le paysage de ton corps. Des sentiers de rouge à lèvres qui traçaient un sentier de pointillés carmins jusqu’à ton entrejambe. Puis ce fut ton tour de me maquiller. Du plus profond de toi, tu me peignais le visage et me donnait l’aspect d’une fière apache sur le sentier de la guerre. Ma langue jouait avec tes doigts jouaient avec ta vulve. Nous appelions les esprits et ils vinrent prendre possession de ton corps. La transe te prit brusquement, comme un tremblement de terre. Le visage rouge et poisseux, j’admirais tes convulsions en te tenant, en te caressant, en te griffant parfois, sous le coup de l’excitation. Je m’accrochais à toi et c’est toute la chambre qui se mit à vibrer avec nous. Les esprits qui t’avaient envahi ne tardèrent pas à se glisser aussi sous ma peau. Dans le demi-monde, nous étions deux flammes brûlant dans l’obscurité dansant l’une avec l’autre jusqu’à ne plus en former qu’une.