Intime-moi

Ça a glissé dans la conversation, presque comme une pensée à voix haute.
« J’aimerais que tu m’intimes.
Tu aimerais que quoi ?
Que tu m’intimes.
Mais que je t’intime quoi ? Un ordre ?
Non, plutôt le cou, là. Oui, je crois que j’ai envie que tu m’intimes le cou.
OK. Laisse-moi y réfléchir un peu et on voit ça. »
Nous finissions nos cafés en terrasse. La discussion glissa vers d’autres sujets. Les jours suivants l’idée ne fit plus surface.
Les semaines s’écoulèrent. Je me disais qu’elle avait oublié notre échange.

Un soir que j’errais chez moi, sans programme précis, elle m’envoya un message. « Je peux passer te voir ? » J’acquiesçai par clavier interposé, un peu intrigué, un peu nerveux, un peu excité.
Environ une heure plus tard elle se présentait sur le pas de ma porte.
« J’ai beaucoup réfléchi à ce que tu m’as dit l’autre jour. Ce soir, si tu le veux, je t’intime. » Je la fis entrer.

En quelques minutes et baisers osés, nous avions basculé dans ma chambre, sur mon lit. Elle m’avait retiré mon pull, mon t-shirt. Mon torse nu dévoilait ses quelques enluminures à même l’épiderme. Elle était à califourchon sur moi, toujours vêtue. « Ferme les yeux. Je veux que tu te concentres sur ta peau. »
Silencieusement, je me plongeais dans une obscurité intérieure confiante.
Je sentis une pointe froide frôler l’arrière de mon oreille droite. On aurait dit une sorte de bistouri qui glissait le long de moi, entre ma tête et mes épaules. Comme une aiguille qui aurait dansé délicatement sur mon épiderme. J’imaginais ses arabesques, ses hésitations, ses entrechats. Mes poils petit à petit se hérissaient au passage de l’objet. Je frissonnais.
« Tu as froid ?
Je ne crois pas. Tu sais, je tremble facilement quand je suis ému.
Ça t’émeut ce que je fais ?
Je ne sais pas ce que tu fais.
Je te raconterai tout à l’heure, ce n’est pas encore terminé. »
À la pointe se substitua la douceur de ses lèvres. Je sentais sa langue humide me caresser la pomme d’Adam. Elle me mordit avec intensité, brusquement, si bien que je poussais un petit cri de surprise. Elle s’interrompit.
« Continue. »
La bouche reprit son chemin. Je la devinais me goûter, m’aspirer, m’humecter. La pointe, parfois, revenait l’accompagner comme un écho. J’oubliai le reste de mon corps, le reste de la pièce. Je n’étais plus que ces quelques centimètres carrés de peau comme le plateau de sa performance.
Je perdis toute notion du temps. Je crois même que je m’assoupis un moment. Dans mon esprit embrumé, j’imaginais des escargots en train de s’accoupler sur ma nuque. Je percevais à travers mes paupières un ciel mauve parcouru d’immenses silhouettes de cétacés. Mes doigts se crispaient, hors de tout contrôle.
Quand je repris connaissance, je n’eus pas le réflexe de garder les yeux fermés. Je la vis assise près de moi, en train de lire à haute voix un recueil de poésie.
Remarquant que je la regardai désormais, elle me sourit et me tendit silencieusement un miroir. Sous mon visage s’étalait une fresque de marques rouges, violacées, de lignes laissées par ses ongles, de mots tracés à la plume et à l’encre. Elle avait pris soin de tout rédiger à l’envers, de façon que seul un miroir permettait de déchiffrer ses écrits. J’y lisais notre lien, nos secrets, notre vécu. Je trouvai là, dans ce reflet, tout ce qui constituait notre intimité, en condensé entre ma tête et mes épaules.
Elle ne dit rien. Moi non plus. Je lui souris et elle me prit dans ses bras.