C’était le temps d’avant les hommes, quand les animaux étaient encore doués de parole. Le soleil brillait sur la grande plaine et la lune avait à peine commencé à danser dans la nuit.
Un jour, alors que l’été avait été particulièrement chaud, le lit du fleuve se trouva si asséché que même les poissons n’y passaient plus. Le martin-pêcheur, éclat de couleurs et roi des plongeurs, s’en trouva bien embêté. Sa famille réclamait du poisson frais, mais dans le lit boueux de ce qui était auparavant son terrain de chasse, il n’y avait désormais plus aucun de ses trésors argentés.
Résolu à trouver pour les siens de quoi se nourrir, l’alcyon prit son envol vers la côte. Il n’y connaissais rien à l’océan, ce n’était pas son élément, mais un échassier migrateur de passage lui avait confié qu’on y trouvait des réserves de poissons apparemment sans fin.
Le voyage fut long et plein d’embuches. Martin pêcheur dut traverser des savanes pleines de fauves, échapper au regard et aux griffes acérées des faucons pèlerins, négocier avec une tribu de pic-boeufs un peu de place et de repos sur le dos d’un hippopotame. Dans le désert, les nuits gelées et les journées brûlantes manquèrent d’avoir raison de son plumage. Il ne dut sa survie qu’à un oasis découvert in extremis au pied d’une dune serpentine.
Une source y émergeait d’un piton rocheux et formait une fontaine naturelle. L’oiseau se posa près de celle-ci, se désaltéra, puis s’endormit à l’ombre d’un palmier.
Dans ses songes brumeux de volatile, il vit une rivière si large qu’on en distinguait pas l’autre rive. Il se vit plonger en son sein, glisser entre les courants, une couronne de bulles au dessus de la tête. Il distinguait des êtres diaphanes comme des toiles d’araignées danser autour de lui. Et au fond de l’eau, le plus étrange des poissons, sans nageoires ni écailles, mais bardés d’appendices mouvants comme des anguilles. Alors qu’il s’apprêtait à saisir la bête dans son bec, le martin-pêcheur fut réveillé par un rayon de soleil facétieux qui se glissait entre les feuilles du palmier.
Il reprit alors son voyage, encore plus déterminé désormais à rejoindre l’océan. Les jours de vol succédèrent au nuits sans escale, et bientôt il aperçut à l’horizon les reflets de l’eau. Et de l’eau il y en avait ! Jamais l’animal n’avait vu mare plus vaste que celle-là. Sans attendre, il se précipita à travers la surface, vers le fond marin, dans l’espoir de capturer la proie de ses rêves. Prémonition ou hasard ? Il débusqua rapidement l’étrange créature. Sans réfléchir plus, il se précipita vers elle le bec grand ouvert. C’est à ce moment qu’un nuage de fumée sombre surgit brusquement de l’être. Aveuglé, le martin pêcheur ne vit pas la pieuvre s’éclipser et heurta violemment la pierre.
Ce n’est que plusieurs heurs plus tard que la houle déposa sur le sable le corps d’un oiseau inanimé. Il fallut encore plusieurs heures pour qu’il s’agit, puis s’éveille. Son plumage était désormais noir comme une nuit sans lune. De son nom il n’avait plus souvenir, ni de ce qui était advenu, ni de son origine. Il sentait confusément qu’il avait perdu tout cela quelque part au fond de l’océan.
Depuis, inlassablement, l’oiseau noir plonge et plonge encore pour se retrouver lui-même.